mercredi 24 février 2016

2000 Syrie

Mardi 21 mars 2000

Viviane et moi, arrivés hier à Lyon, avons mangé dans un « bouchon » et passé la nuit dans un hôtel.
A 5h10, nous prenons une navette qui nous mène à l’aéroport de Lyon-Satolas.
7h : vol Lyon – Milan (Italie).
10h : vol Milan – Damas.
Nous arrivons à 15h en SYRIE.

Libéré de l’occupation ottomane après la révolte arabe en 1918, le  pays est envahi par les forces françaises en 1920 et devient un territoire sous mandat français. Avec le départ des troupes françaises, la République arabe syrienne obtient son indépendance totale le 17 avril 1946. Issu du parti Ba’as, Hafez el-Assad prend le pouvoir en 1970.
La Syrie est membre fondateur de la Ligue arabe.

Longue attente pour les formalités d’entrée jusqu’à 16h30 : après les passe-droits de toute une série de gens, contrôle des visas, change en livres syriennes…
Nous prenons un taxi qui nous mène au centre de DAMAS, dans un hôtel réservé à l’avance pour deux nuits. C’est un grand hôtel international, le Méridien.
Il pleut… On ne s’y attendait pas !
Par la terrasse de notre chambre, on aperçoit le mont Kassioun, une colline rocailleuse qui domine la ville. Sur cette colline, se situe le palais présidentiel, un bunker en béton.
Bien que malade, à ce jour Hafez el-Assad est encore président de la Syrie. Son régime fortement autoritaire, structuré autour du parti unique du Ba'as, a mis en place un contrôle de l'ensemble de la vie politique syrienne. Il a conféré une stabilité à un pouvoir politique syrien marqué jusque là par les coups d'État et a fait de la Syrie un acteur incontournable du Moyen Orient.

La nuit tombe sur les minarets de Damas.
Nous passons la soirée à l’hôtel : tout d’abord au bar, au milieu des hommes d’affaires et des émirs du golfe, où nous dégustons un « arak », apéritif anisé équivalent de l’ouzo grec et du raki turc ; ensuite au restaurant où nous nous régalons de variétés de « mezze » arrosés de vin libanais.

Mercredi 22 mars 2000

Nous allons passer la journée à Damas.
Par quelques grandes avenues, nous gagnons à pied la vieille ville où se concentrent les quartiers séculaires et les grands monuments.
Damas, cité prestigieuse de l’Orient arabe, capitale du premier grand empire islamique, celui des Omeyyades, ne se laisse pas découvrir au premier abord. Il faut  passer outre la banale modernité du triste modèle architectural occidental, le fer et le béton, les rocades et pénétrantes assassines…
Nous sommes frappés par les portraits de Hafez el-Assad  partout en ville, dans les rues, les commerces et même sur les pare-brise de taxis. Ce qui en dit long sur l’amour - ou la crainte -  qu’il inspire. Président de la Syrie, gendarme du Liban, bête noire d’Israël, il n’y a pas de négociation sans lui, pas de paix ni de guerre sans son concours.
Malgré cela, ou à cause de cela, la Syrie est un pays sûr. Les risques de vols et d’enquiquinements sont moins élevés qu’ailleurs.

La vieille ville est délimitée par l’ancienne muraille romaine. On l’aborde par la citadelle.
Construite sur l’ancien castrum romain, la citadelle a été détruite par les Mongols puis, reconstruite, a servi de caserne aux Ottomans et de prison jusqu’en 1985. Elle ne se visite pas.
Le souk Al Hamidieh est une longue rue pavée recouverte d’une structure métallique édifiée par les Ottomans à la fin du XIXe siècle. Coloré et animé. Dans la partie la plus large, on y trouve surtout tissus, soieries, robes de mariées.
Le souk va en se rétrécissant pour aboutir aux vestiges du temple de Jupiter : un arc de triomphe et quelques colonnes.


Nous atteignons la mosquée des Omeyyades. C’est une mosquée mythique, l’une des plus vénérées de l’islam. Sur le site d’un culte araméen, temple romain puis église dédiée à Saint Jean Baptiste, les travaux de la Grande Mosquée commencèrent vers 705. Elle traversa les nombreuses vicissitudes de l’histoire (incendies, tremblements de terre et destructions par Tamerlan).
Nous franchissons le mur d’enceinte. 


Il faut payer un droit d’entrée. Il y a obligation pour les femmes de se couvrir d’une grande cape noire en nylon avec capuche, fournie d’office. La cour rectangulaire est entourée d’arcades à deux étages et de mosaïques d’une grande richesse. Devant nous, s’élève le Trésor, une élégante construction sur colonnes corinthiennes finement décorée de mosaïques. C’est là qu’était stocké l’or. Au centre, le lavabo pour les ablutions. 



















Avant de pénétrer à l’intérieur, on ôte nos chaussures. La salle de prière est immense. Impression de dépouillement, sérénité des lieux, douce lumière diffusée par les 70 fenêtres colorées. Et pourtant, c’est un véritable forum ! Extraordinaire atmosphère : des enfants jouent dans la salle, des fidèles prient, d’autres bavardent tranquillement, se reposent assis à terre ou dorment dans un coin ! L’ambiance est familiale. Des couples se photographient, pendant que défilent des femmes en noir. 



Devant le mausolée de Saint Jean Baptiste, nous sommes abordés par un jeune couple de touristes iraniens qui nous ont entendu parler français. Nous lions connaissance. Tous deux parlent notre langue. Bientôt nous sommes invités en Iran !
Viviane supporte difficilement sa cape en nylon : une impression d’étouffer, qui lui fait quitter précipitamment la salle. Je reste encore quelques temps à discuter puis à visiter.
A la sortie de la mosquée, sur son flanc nord, nous nous rendons au mausolée de Saladin, le pourfendeur des Croisés, mort à Damas en 1193.

Nous mangeons  à l’ « Umayyad Palace Restaurant », un ancien petit palais construit à la période des Omeyyades. Riche décor inspiré des Mille et une Nuits avec banquettes recouvertes de tapis.
Nous visitons ensuite le palais Azem.
Edifié en 1749 par Assad Pacha al-Azem, gouverneur de Damas, il est un exemple typique de fine construction arabo-ottomane.


Par la suite, nous poussons encore jusqu’au khan Assad Pacha, un caravansérail impressionnant.
Retour par les souks. Ils sont bien délimités selon les corps de métier : souk des bijoutiers, souk des grains et des herbes aux effluves odorantes d’Orient…
Nous traversons à nouveau le souk Al Hamidieh beaucoup plus animé que ce matin.


En Syrie, le harcèlement commercial est modéré, à comparer avec la Tunisie et le Maroc. A ce sujet, une anecdote : un commerçant du souk nous interpelle en anglais ; je réponds en arabe ; décontenancé, il s’exprime alors en français « Dans quelle langue il faut que je te parle ? ».
Par les ruelles de la vieille ville, nous gagnons la bab Al-Faraj, une des portes de ville, noyée dans les souks.


Nous retrouvons alors la circulation dense de la ville nouvelle. Attention ! Peu de considération pour les piétons : on traverse à ses risques et périls ! A noter la hauteur des trottoirs qui ne facilite pas les déplacements à pied.

Nous atteignons la gare du Hedjaz, édifiée en 1913 à l’époque triomphante du chemin de fer, aujourd’hui désaffectée, au charme rétro-colonial. Entrant par la gare, nous allons prendre un pot à l’ «Almahatta Train Café », un bar aménagé dans trois wagons de l’Orient Express. Parois en bois, vieilles banquettes usées. Le train semble encore habité par les fantômes de Lawrence d’Arabie et d’Agatha Christie. Sur le quai, des hommes jouent aux cartes en fumant le narguilé.
Nous rentrons à l’hôtel vers 17h pour y passer la soirée et prendre le repas.

Jeudi 23 mars 2000

Nous quittons l’hôtel au matin et rejoignons en taxi la gare routière Harasta, à 7 kilomètres du centre-ville. Les transports intérieurs sont variés, très bon marché et couvrent toutes les destinations, même les villages les plus reculés. La plupart des compagnies de bus desservant les grandes villes de Syrie partent d’ici.
Départ à 9h50 pour un trajet de 355 km. Le bus est confortable. A bord, on nous offre de l’eau minérale. On fait un arrêt intermédiaire dans une gare routière pour prendre une collation.

Arrivée à 14h30 à Aleppo (Alep), dans le nord de la Syrie.
Deuxième ville du pays, Alep est une des grandes cités mythiques du monde.
Nous parcourons la ville à pied à la recherche d’un hébergement. On ne passe pas inaperçus, avec nos sacs à dos sur les épaules. On se renseigne dans la rue pour trouver le « Tourist Hotel », une petite pension indiquée par le Guide du Routard. En haut de l’escalier intérieur, au premier étage, on rencontre madame Olga, la propriétaire qui veille sur la propreté et la bonne tenue de son établissement. D’ailleurs les chambres sont modestes mais impeccables. Comme beaucoup de personnes de sa génération qui ont connu l’occupation, elle parle français. Elle nous présente à un guide qui arrive fort opportunément ! Nous prenons rendez-vous pour demain.
Nous allons nous promener en ville. Dans la soirée, sous un soleil rasant, la circulation automobile envahit les rues. 


Un policier fait la circulation au carrefour, mais personne ne se soucie vraiment de lui.


Nous pénétrons dans les souks, par la bab Antakieh (porte d’Antioche). Les souks d’Alep sont considérés comme les plus authentiques du Moyen Orient. Ils n’ont pas encore cédé la place aux boutiques de souvenirs et autre colifichets pour touristes. Métiers et corporations n’ont pas changé de technique depuis des siècles : souks des épices, des bouchers, des bijoutiers, entre autres, tels qu’ils existaient du temps des Mamelouks et des Ottomans…
Impossible de ne pas remarquer les piles de savons dans toutes les devantures des boutiques. Entreposés les uns sur les autres sans emballage, ils forment de véritables murs.
Le savon d’Alep est connu et utilisé depuis des siècles, composé exclusivement d’huile d’olive et d’essence de laurier, sans subir aucun traitement chimique.
On débouche aux abords de la citadelle. Un escalier monumental mène au bastion d’entrée.


Fortifiée au Xe siècle, la citadelle joua un rôle éminent lors des attaques des Croisés. Ce symbole de la puissance de l’architecture militaire ne fut jamais pris par la force.

Nous allons prendre une bière au bar de l’hôtel Baron, hôtel historique du Moyen Orient.
Lawrence d’Arabie y descendait, Agatha Christie y vécut. Le bar est rétro, cossu, peuplé de souvenirs et de fantômes. « Sykes et Picot y trinquaient à leur future trahison des intérêts arabes » (GdR). Avec l’accord Sykes-Picot, les Français et les Britanniques peuvent se partager les territoires de l'empire Ottoman déchu et créer des pays à leur convenance. L’accord met fin à la Syrie historique, permettant la colonisation française.
Nous allons manger dans un resto populaire, « Al Andalib » : vieux poêle, fresque, objets kitsch. Repas simple mais honnête. On peut y boire de la bière.
Après le restaurant, nous faisons une petite balade de nuit dans les rues commerçantes.

Vendredi 24 mars 2000

Le guide rencontré hier à la pension, ponctuel, nous attend. Nous partons pour un circuit dans le nord de la Syrie avec deux voitures : une famille de Français résidant en Syrie, avec leur enfant, dans leur 4X4, avec le guide ; et nous deux avec un chauffeur kurde qui ne parle ni arabe, ni anglais, encore moins français, dans une autre voiture.
C’est le printemps. Une végétation rase tente de se développer, un duvet de verdure et quelques fleurs parviennent à jaillir entre les rocailles. Etonnante, cette Syrie verte !


Nous croisons quelques campements de Bédouins.


L’église de Mouchabback apparaît au sommet d’une colline, livrée aux oiseaux, aux chèvres et aux moutons. C’est une église byzantine du Ve siècle, dans un état de conservation remarquable, dont il ne manque que le toit. 


A l’extérieur, des puits, une citerne et une carrière d’extraction. Tout autour parmi la rocaille paissent des moutons, gardés par un chien et quelques bédouins coiffés de leur keffieh rouge et blanc.




Non loin de là, nous faisons une halte au site de Qatura. On y trouve une série de tombeaux datant du IIe siècle après JC. Les tombeaux sont creusés dans la roche calcaire et sont gravés de figures représentant les personnes y gisant.
Un peu plus loin, une autre ruine, plus éparse, Sitt Al Roum (N-D des Byzantins), surgit dans le désert rocailleux où quelques oliviers nains tentent de survivre.















Nous atteignons « Qalaat Samaan », le monastère de St Siméon, le plus fabuleux site paléochrétien d’Orient. La basilique (Ve–VIe siècles) fut construite autour d’une colonne de 12 mètres de haut, au sommet de laquelle Saint Siméon vécut en ascète pendant 42 ans. En 962, les Byzantins fortifièrent le site. 
Une large esplanade mène à une majestueuse entrée à trois arcades.














Aujourd'hui, de l'ensemble médiéval, il reste le « squelette » de l'église en croix, érigée autour de la colonne de Saint Siméon. Ce qui a survécu aux pèlerins-pilleurs, aux séismes et aux divers occupants militaires laisse deviner que l'église devait être magnifique : traces de dallage, bandeaux autour des fenêtres et chapiteaux des piliers finement ciselés de motifs variés et fins. 


A côté, les ruines du monastère rappellent des temps plus prospères, dans l’herbe, au milieu des arbres, avec l’horizon à l’infini. Saint Siméon avait choisi un beau site !




Viviane et moi prenons une collation à la cafétéria du site. Le guide mange à part avec quelques connaissances, la famille française se retrouve dans son 4X4, et le chauffeur kurde s’éloigne. On ne sait pas s’il va manger…

Nous reprenons notre circuit  pour atteindre vers 16h, au sud d’Alep, la « ville morte » byzantine de Sergilla.
Les « villes mortes » sont d’anciennes cités romaines, byzantines ou arabes du IIIe au VIe siècle après JC. Leur qualité architecturale et leur état de préservation sont stupéfiants.
On accède à Sergilla par un paysage d’oliveraies et de douces collines. Le soleil commence à décliner, accentuant le mystère du lieu. Nous parcourons le site, quelque peu apocalyptique : nécropole, thermes, église et demeures sont dans un remarquable état de conservation. Contrairement à de nombreux villages ruinés, les murs montent très haut. Seuls manquent les toits. 















Une famille syrienne prépare un pique-nique au milieu des ruines. 


Des pseudo-guides rôdent, en recherche de clients.


Nous rentrons à Alep dans la soirée. Nous donnons un pourboire à notre chauffeur kurde. Ce qui n’échappe pas à notre guide qui nous le reproche à mi-mot, puisque c’est lui qui le paye. Chasse gardée !
Arrivés en ville, nous allons prendre un pot avec le guide, désireux d’entamer la conversation. Il nous confie qu’il aimerait visiter l’Europe et… Israël. Nous nous méfions tout de même et nous restons sibyllins dans nos réponses. La situation des Droits de l’Homme en Syrie n’est pas reluisante. Derrière chaque passant peut se cacher un flic ou un indicateur. Mieux vaut parler de foot…
Nous allons manger dans un restaurant du quartier, « Abou-al-Nawas »,  une grande salle tapissée de velours où nous avions pris le petit déjeuner ce matin.
                                                                  
Samedi 25 mars 2000

A 6h30, on a rendez-vous en bas de la pension avec notre guide. Avec un jeune couple d’Allemands, deux chauffeurs et le guide, nous embarquons dans un microbus.

Nous nous dirigeons vers la vallée de l’Euphrate. Nous atteignons le lac Assad. Le site est austère. Quelques villages aux maisons en terre de ton ocre côtoient d’autres villages de béton.  















Mis en eau en 1973, le barrage a permis de réguler l’irrigation des cultures, auparavant noyées par les crues.
L’Euphrate, qui prend sa source dans les hautes montagnes turques, poursuit son chemin en Syrie et termine son long voyage de près de 3000 km en Irak, dans le golfe persique, après avoir rejoint le Tigre.
Nous sommes aux portes de l’antique Mésopotamie.
Au IVe millénaire avant J.-C., les premiers documents écrits de l’humanité apparaissent dans le sud de la Mésopotamie. En inventant l’écriture, ainsi que la roue, les Sumériens venaient de créer les prémices de notre civilisation. L’histoire de la Mésopotamie se mêle donc aux origines de notre monde moderne.
Le site de Qalaat-Jabaat se dresse sur une presqu’île qui s’avance sur le lac Assad. De cet ensemble ruiné, édifié au XIIe siècle, ne subsistent que la grande tour du minaret et une belle enceinte de brique.


Passage obligé au petit troquet, devant l’entrée, encore déserté à cette heure matinale. On évite d’y prendre thé ou café, l’eau n’étant pas très sûre.
Reprenant la route, on contourne le lac par le sud, on traverse le village d’Al-Mansurah. Un dernier marché de plein air, aux portes du désert. 


On poursuit plein sud. Au bout de 25 km, les ruines de Rassafé apparaissent en plein désert.


C’est une gigantesque et imposante cité caravanière fortifiée, construite en gypse, étrange site dont la couleur ocre se fond dans celle du désert qui l’entoure.
Edifiée bien avant notre ère, c’est au VIe siècle après JC qu’elle connut son heure de gloire. Elle devint un lieu de pèlerinage byzantin. Les Abbassides détruisirent la ville lors de leur passage. Elle ne s’en relèvera jamais vraiment.
Le Routard a beau indiquer que l’entrée est gratuite, dès que nous avons franchi l’enceinte un gardien en moto se présente pour nous faire payer. Devant ma réaction comme quoi ce devrait être gratuit, le guide, d’un air ironique, me demande : « Où ça ? A Paris ? »
L’ensemble est particulièrement ruiné. 
















L’enceinte est la partie la mieux conservée. Une artère principale traverse les ruines. Dans les restes de la basilique Saint-Serge, de belles voûtes en plein cintre reposent sur des colonnes à chapiteaux de style byzantin. Certaines pierres menacent de tomber à tout moment.


Après cette visite, nous entreprenons la traversée du désert par des pistes.
Pas de dunes ondulantes, pas de sable fin. Quelques rares touffes végétales et surtout de la caillasse à l’infini dans un paysage plat.














Ici un troupeau de moutons, plus loin des chameaux. 


Couvrant près des deux tiers du pays, ce territoire immense appartient aux tribus bédouines. Personne d’autre ne s’y aventure. Les Bédouins partent en famille, en tribu, avec leurs troupeaux chercher quelques rares coins d’herbe. Mais la tradition du nomadisme a tendance à disparaître. Les tentes se déplacent de moins en moins, les constructions en brique ou en béton se multiplient.
Cartes et boussoles sont nécessaires aux chauffeurs. Manifestement, ils ne savent plus trop où ils sont. Ce sont des traces de pneus qui servent de repères. Il me revient en mémoire les mésaventures des Dupont et Dupond dans « Tintin au pays de l’Or Noir » !


Les rares véhicules que l’on croise ne sont pas immatriculés. Les Bédouins possèdent l’autorisation de ne pas payer la lourde taxe d’immatriculation.
On traverse un village bédouin. Essentiellement des tentes, quelques constructions en dur et une jolie petite mosquée dont le minaret est blanchi à la chaux.



Au loin, quelques reliefs égayent tout de même le paysage.















On débouche à As Sukhnah. Une petite épicerie nous permet d’acheter de l’eau et des gâteaux secs que l’on va manger sur le pouce, au bord de la voiture. Il souffle une brise légère. On supporte un sweet-shirt. En mars, le désert de Syrie n’est pas caniculaire !
A partir de là, on va retrouver une route en bon état ; et à 15h30, on arrive à Palmyre.
Surgissant du désert, une oasis déroule son tapis vert et, au pied d’une colline que domine un château arabe du XIIe siècle, apparaissent les vestiges de la cité de Zénobie, reine de Palmyre.
En lisière du site archéologique, s’est développée une petite ville moderne, quadrillée comme une ville coloniale.
Les jeunes Allemands débarquent leurs vélos devant l’hôtel qu’ils avaient réservé. Viviane et moi nous installons dans un hôtel indiqué dans le GdR, « Tower Hotel », à prix moyen.
Nous montons en voiture jusqu’à la citadelle arabeLe château de Fakhr-ed-Din fut édifié au XIIsiècle à la période ayyoubide pour résister aux Croisés, puis rebâti au XVIIe. Tout autour a été creusé un large fossé l’isolant complètement. Le gardien n’est pas là, on ne visite pas. L’intérêt réside surtout en la vue fantastique que l’on a sur le site archéologique et l’oasis, alors que le soleil décline.


 On redescend en ville. On règle notre dû. Le guide et les chauffeurs rentrent à Alep.

Nous passons tous deux la soirée à Palmyre. On mange au « Traditional Palmyra Restaurant », au décor bédouin, sans prétention et sans alcool ! C’est d’ailleurs probablement pour cette raison que nous sommes les seuls clients.

Dimanche 26 mars 2000

Le matin, Viviane et moi visitons d’abord le musée, dans la rue principale de la ville moderne : un excellent musée abritant des quantités de richesses trouvées ici même, qui donne une idée de la mesure artistique de Palmyre, ce que ne permet pas l’exploration du site.
Passant l’enceinte qui protégeait la cité, nous pénétrons dans les ruines. Le site est ouvert tout le temps, et l’entrée est gratuite.
Les ruines sont disséminées et ouvertes aux quatre vents.
L'oasis, utilisée par les caravaniers depuis la nuit des temps, entre Mésopotamie et Perse, est à l'origine de la réputation de cet endroit placé loin de tout, au milieu du désert pierreux, près d'une source chaude appelée Efqa. Ville libre, exemptée d’impôts, Palmyre sut tirer parti de sa situation exceptionnelle et taxa tout ce qui transitait par elle.
Au IIIe siècle, au début du Bas-Empire, après la victoire romaine sur les Perses, le prince de l’opulente Palmyre, Odenat, fut assassiné (par sa femme ?). Zénobie, sa veuve, se proclama reine et voulut refaire à son profit l’unité de Rome. Narguant l’empereur Aurélien, elle envahit l’Egypte, Antioche, Ankara. Vaincue à Antioche, elle fut emmenée captive à Rome en 274.
Le site antique de la cité de Zénobie est traversé par la grande colonnade, une allée bordée par des arcades dont il subsiste colonnes et linteaux. 

















Nous parcourons le champ de ruines, dominé par le château arabe : temples, théâtre, sénat, agora, tétrapyle et camp de Dioclétien (ancien palais de Zénobie).

La chaleur tombe sur les ruines. Un marchand, stationné avec son chameau dans les vestiges du tétrapyle, propose des boissons fraîches.


Nous nous dirigeons vers le temple de Bel. L’entrée est payante. C’est l’édifice le mieux conservé de Palmyre. Il fut consacré en l’an 32 de notre ère, mais sa construction se poursuivit jusqu’au IIe siècle. On y adorait plusieurs dieux, mais le principal était Bel, le dieu des dieux palmyréniens (Zeus pour les Grecs, Jupiter pour les Romains).
C’est une vaste esplanade presque carrée de 210 mètres de côté où avaient lieu les sacrifices. La partie la mieux conservée se situe sur le flanc sud où se dressent encore de belles colonnes avec chapiteaux. Montant quelques marches contre le mur d’enceinte, on a une jolie vue sur la palmeraie de l’oasis.















Au fond de l’esplanade, se dresse le sanctuaire, qui était uniquement accessible aux prêtres. On devine qu’il est ensuite devenu une église, puis il fut transformé en mosquée.

On traverse à nouveau le site pour rejoindre la ville moderne. On mange au Palmyra Restaurant. A ne pas confondre avec celui d’hier soir. Celui-ci, en face du bureau des bus, est plutôt destiné aux groupes de touristes. En voici d’ailleurs un !
On cherche maintenant à rentrer à Damas. Mais quand on veut acheter un billet, le bus est déjà plein. Voyant notre embarras, un jeune Syrien nous propose de nous emmener dans son triporteur à moteur faire le tour des compagnies de bus. On charge les sacs à dos dans la carriole, et nous voilà embarqués à travers la ville. On finit par trouver une compagnie. Départ immédiat. On descend les bagages, on donne un pourboire à notre « chauffeur » et on monte dans le bus. Celui-ci est bientôt plein. Qu’à cela ne tienne. Des chaises supplémentaires sont installées dans l’allée centrale !

Départ à 14h30 en direction de Homs. Environ deux heures de trajet.
Je remarque bientôt que le chauffeur baisse la tête par à-coups et s’endort presque sur son volant. Je signale au contrôleur: « He’s tired ? » Il me répond que oui. Mais ça n’a pas l’air de l’inquiéter outre mesure. Il reste cantonné au fond du car. Ça ne me rassure guère. Comme moi, un couple de Néerlandais semble inquiet. Assis aux premiers rangs, je garde un œil sur le chauffeur, prêt à intervenir au cas où… Heureusement, il ne se passe rien.
Le désert cède la place à la végétation et aux maraîchers. On atteint la vallée fertile de l’Oronte et on arrive à Homs. A la gare routière, à la descente de l’autocar, nous sommes immédiatement embarqués dans un autre bus qui part sur le champ pour Damas.
Pendant le trajet, nous lions connaissance avec un couple syrien, installé derrière nous. Intrigués par notre présence dans le bus (où nous sommes les seuls Européens), attirés, les parents incitaient depuis un moment leurs deux enfants à entrer en contact avec nous, par le biais de bonbons ou de fèves que l’on grignotait en leur en offrant.
Dans un mauvais anglais, nous entrons en contact. On apprend qu’ils sont originaires du plateau du Golan, occupé par Israël depuis 1967 puis annexé par la suite. Ils n’ont jamais pu y retourner.
Après un arrêt dans un garage en cours de route pour cause de panne, nous arrivons de nuit à Damas.
On embarque dans un minibus qui nous mène au centre-ville. Apprenant que nous ne savons pas où nous allons dormir, le monsieur du couple nous propose l’hébergement. Sa femme, par derrière, en souriant, nous fait un signe, la main vers la tempe, comme quoi il est cinglé ! Apparemment, ils vivent à quatre dans un tout petit appartement… Aussi, nous déclinons cette offre pourtant chaleureuse. On prend tout de même nos adresses respectives. La leur est en arabe ! – faudra que Hichem ou Salim traduisent ! –
Arrivés au centre, nos nouveaux amis nous signalent qu’il faut descendre là. C’est vrai que de nuit, dans une ville arabe sans indications en lettres latines, ce n’est pas évident. On lance les sacs à dos sur la chaussée, on descend rapidement, on fait au-revoir de la main, mais le minibus est déjà reparti…

Nous trouvons un hôtel dans la ville nouvelle vers 20h30, indiqué dans le Routard. Il s’agit de l’ « Orient Palace Hotel », sur la place de la gare du Hedjaz. Vieil hôtel construit en 1936, il a un côté retro-décadent. Pour l’anecdote, De Gaulle y a dormi !
Puisque nous sommes juste à côté, nous allons boire un pot puis manger à l’Almahatta Train Café, que nous retrouvons avec plaisir.
[Ayant changé rapidement la pellicule de mon appareil-photo dans la rue, je me rendrai compte à notre retour en France que la pellicule était mal fixée et qu’aucune nouvelle photo n’a pu être prise…]

Lundi 27 mars 2000

Départ en autocar de la gare routière Baramkeh dans le centre-ville, pour la région du Hauran, au sud de la Syrie.
Le Hauran est une région très fertile entre le plateau du Golan et le djebel El-Arab, le long de la frontière jordanienne.
Nous arrivons à Bosra vers 11h30.
Bosra est une ville très ancienne (citée sur des papyrus égyptiens au XVIIIe siècle avant JC). Plus tard, elle fut la première ville byzantine à tomber au moment de la conquête arabe.
Nous visitons d’abord le théâtre de Bosra. C’est le théâtre romain le mieux préservé au monde, ensablé par le vent du désert au long des siècles. Il est imbriqué dans une colossale citadelle construite par les Ayyoubides. L'acoustique y est excellente. Impressionnante et mystérieuse est la montée dans les sombres et massifs couloirs de la citadelle.
De petite dimension, la ville antique est construite autour du théâtre. Rarement site archéologique d’importance se révèle aussi peu touristique. Quelques modestes échoppes, et c’est tout. Un véritable plaisir !
La ville actuelle s'est développée de manière précaire et désordonnée sur les vestiges de la cité ancienne qui était à peu près dépeuplée il y a un siècle. Elle n'a donc en commun avec celle-ci que le nom et les pierres de construction. Mais le fantôme de la grande cité antique plane au-dessus des maisons basses.
L’imbrication du site avec les maisons du village est merveilleuse. Les matériaux qui servirent à leur construction proviennent des monuments romains. La roche noire basaltique confère au site beaucoup d'originalité. De plus, la dureté du basalte a permis aux monuments de résister à l'usure.
Notre balade nous mène d’abord à la citerne romaine puis à la porte nabatéenne. Dans la cité, on découvre mosquées et minarets, cathédrale, basilique, portes et arches monumentaux, vestiges de vieilles maisons, thermes romains, ainsi que l’agora et le nymphée abrité par quatre colonnes monumentales.
Tout au long des ruelles, on est en prise avec la vie des gens, tout en découvrant tous les styles qui façonnèrent cette ville. On peut encore voir la population vivre à l'intérieur des ruines. Dans les passages étroits et sinueux, des colonnes antiques se dressent dans les endroits les plus inattendus.
Lors de la conquête arabe, un moine nestorien, Bahira, depuis l’entrée de la basilique, vit un jour une caravane passer avec un jeune garçon protégé du soleil de plomb par un petit nuage qui le suivait fidèlement, alors que tous étaient accablés par la chaleur. Il lui prédit une grande destinée. Le nom de ce garçon : Mahomet !
Nous, c’est quelque chose de différent qui nous intrigue. Sur la voie pavée romaine, avance lentement mais inexorablement quelque chose d’informe, compact, très coloré, comme un immense dragon. C’est un troupeau de Japonais, en rangs serrés, protégés du soleil par une forêt de parapluies de toutes les couleurs ! Les habitants de Bosra, assis ou accroupis devant les portes de leurs demeures, contemplent, incrédules, le spectacle…

Entre 16h et 18h, trajet de retour à Damas en bus.
Arrivés en ville, nous rejoignons l’Orient Palace Hotel. Nous allons nous promener dans les souks puis nous retournons à l’Almahatta Train Café, pour notre dernière soirée. Dans le wagon-restaurant, devant des plats de mezze, nous lions connaissance avec un traducteur (arabe-anglais-allemand, dit sa carte). Il nous offre une carte postale dédicacée de la gare du Hedjaz en souvenir…

 Mardi 28 mars 2000

Le matin, nous allons nous promener dans le quartier chrétien de Damas.
Nous parcourons l’ancienne « via Recta » romaine, la rue Droite, mentionnée dans les Actes des Apôtres, qui traversait Damas d’ouest en est. Saint Luc en parle dans son évangile. Une arche romaine marque l’entrée dans les quartiers chrétien, arménien et juif. Lors de la prise de Damas, le sultan Khalid ben al-Walid manifesta une grande tolérance religieuse et laissa à ces communautés leur quartier et leurs églises.
Au cœur du quartier chrétien, la chapelle St Ananie.
La Syrie est un des plus anciens et fascinants foyers de civilisation au monde. A Ugarit, on y créa le premier alphabet cunéiforme, on y découvrit la première note de musique écrite, on y développa au plus haut point les sciences et l’astronomie.
La Syrie est aussi un des berceaux du christianisme. Saül de Tarse, devenu plus tard saint Paul, a été converti au christianisme sur le chemin de Damas. Saint Ananie fut l’un des premiers disciples du Christ. C’est lui qui rendit la vue à Paul, frappé de cécité sur la route de Damas, et qui le baptisa.
Dans cette crypte voûtée en pierre, une pittoresque bande dessinée dans le transept droit raconte cette belle histoire…
On poursuit notre promenade jusqu’à la porte de l’Est, la bab Sharqui. Dans la rue, on différencie les femmes chrétiennes, « en cheveux », des femmes musulmanes à la tête recouverte d’un foulard.
On va maintenant rentrer à l’hôtel en traversant à nouveau la vieille ville. Passant par le souk Hamidieh, nous faisons halte dans le café-pâtisserie Bakdash. On ne va pas quitter le pays sans avoir goûté aux baklavas et à la mahlayeh (crème au lait avec amandes et pistaches).
En fin de matinée, nous récupérons nos sacs à dos à l’hôtel. Une navette nous mène à l’aéroport pour midi.
Dans nos bagages, une bouteille d’arak…

A 14h20, départ du vol Damas – Milan.
22h – 23h30 : vol Milan – Lyon.
Arrivés à Lyon, nous recherchons un hôtel en ville. Pas facile !  Nous nous couchons à 1h du matin.

Demain, nous rentrerons dans le Jura, en train jusqu’à Lons-le-Saunier, puis en voiture jusqu’à Arinthod.


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1 commentaire:

  1. "Le bar est rétro, cossu, peuplé de souvenirs et de fantômes." Expression courante ? Certes... Peut-être... D'une grande modernité si on suit cette vidéo de Dorothée Smith où, par delà la lecture de Derrida par Bernard Stiegler, se questionne la disparition et ces fantômes qui en sont phase ultime. Bientôt en ligne sur Blog "Ecritures Numériques 2"...

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